Les élèves de terminale ont planché lundi matin sur leurs sujets de philosophie pour le baccalauréat. Qu’avez-vous pensé des questions posées?
Je vais être franc, je trouve cette épreuve calamiteuse, c’est le café du commerce. Tout d’abord, la philosophie n’est pas enseignée au lycée, il s’agit de super cours d’instruction civique qui ont pour fonction de permettre aux élèves d’être de bons citoyens. C’est louable mais ce n’est pas de la philosophie dont le but est d’accéder à la vie bonne, à la béatitude, à la sagesse, comme l’a écrit Epictète. Quant à l’épreuve de la dissertation, elle consiste à faire réfléchir entre elles des positions antagonistes. C’est un exercice intéressant, de rhétorique, ce n’est pas de la philosophie. Et comment juger les copies des élèves sur des idées ? Les professeurs vont en réalité juger des savoir-faire, des capacités d’argumentation, bien davantage que des savoirs. Et récompenser au final les élèves qui, par habitude de classe sociale, ont appris à bien s’exprimer.
Que proposez-vous alors?
Je suis partisan de l’instauration de cours d’histoire des idées. Ce qui serait intéressant, c’est que les élèves découvrent les réponses apportées au fil des siècles aux questions essentielles. Ces cours les intéresseraient bien plus que ceux d’aujourd’hui. Il serait par exemple passionnant de leur expliquer comment le procès de Galilée a mis fin à la cosmogonie grecque, qui représentait l’univers comme une maison fermée, et nous a ouvert à un temps et un espace infinis. Malheureusement, 3.000 professeurs de philosophie sur 6.000 se sont opposés à la réforme que j’ai proposée quand j’étais ministre de l’Education (2002-2004).
Vous ne vous prêterez donc pas à l’exercice de plancher sur l’un des sujets du bac 2007?
Si, «les œuvres d’art sont-elles des réalités comme les autres?» permet de dire des choses fleuries. Dans l’introduction, je rappellerais qu’il existe un marché de l’art et que certaines œuvres atteignent des prix record. Dès lors, comment ne pas les considérer comme des marchandises? Dans une première partie, je montrerais que de facto, une œuvre d’art est un produit humain comme les autres car il se vend. Karl Marx parlait de l’argent comme d’un «équivalent général » à toutes choses. Il n’existe donc pas de supériorité de l’art a priori. Dans une seconde partie, je ferais valoir que les artistes ne se voient pas comme des marchands et qu’ils se sont opposés à la bourgeoisie financière à partir du XIXème siècle. L’art permet d’éclairer en effet une dimension de l’expérience humaine invisible dans la vie quotidienne. Je rappellerais que l’art est le symbole de l’idée du vrai pour Platon et du bien pour Kant. Enfin, dans une dernière partie, je conclurais par le paradoxe du monde marchand, qui a prétention à tout englober mais qui, dépassé par l’art, y échoue.
Propos recueillis par Alexandre Sulzer